Culture : quel est impact des agents du changement ?

Aux Berlin Change Days 2018

Aux Berlin Change Days 2018

De plus en plus de personnes exercent aujourd'hui dans le domaine du "changement".

Près de 10% de mon réseau direct sur LinkedIn porte désormais un titre professionnel qui inclut des mots tels que "Changement", "Transformation" ou "Innovation" - contre beaucoup moins auparavant.

C'est en partie un effet de nécessité, en partie un effet de mode (ou un vœu pieux ?). Je me frotte les yeux d'incrédulité en repérant parfois des connaissances, que je n'ai jamais vues prendre aucun risque ni changer quoi que ce soit, occuper un poste de "transformation". Mais que diable... ?! Heureusement, de nombreux et formidables agents de changement mènent de véritables innovations, même en l'absence de label ou de reconnaissance professionnelle.


Je pense souvent à la notion d'impact. Quelle différence positive fait-on vraiment, nous agents de "transformation" ou d'"innovation" ? Comment le sait-on ? Comment peut-on en faire plus ?

De Boston à Berlin

Quand Holger Nauheimer m'a invitée aux Berlin Change Days 2018 sur le thème "Courage et activisme d'entreprise", cela m'a paru une évidence. Fin 2017, lorsque notre discussion initiale a eu lieu, je travaillais pour une grande entreprise, heureuse de produire un impact par des actes répétés de changement et une mobilisation innovante des personnes. Je me sentais à l'aise dans ce rôle d'agent du changement et je me réjouissais de partager quelques belles histoires. Mon intervention porterait sur la nécessité de plus de courage et de plus de changement au sein de l'entreprise, si possible par le biais la mobilisation active de son personnel - ou de l'activisme en entreprise.

Mais au moment de l'événement, un an plus tard, j'avais (littéralement) changé de position. J'étais partie des Etats-Unis et revenue en Europe avec ma famille. J'avais changé de travail. J'avais quitté mon employeur. J'avais créé ma propre entreprise, après 27 ans comme employée. Tous ces changements, ainsi que les conversations avec d'anciens collègues, ont suscité une réflexion sur mon impact et ce que je laissais derrière moi. Avais-je réussi ? Ou non ? Le courage et l'activisme en entreprise fonctionnent-ils vraiment ? Ces réflexions pouvaient-elles aider d'autres agents du changement à réussir encore mieux ?

Le "changement", est-ce que ça marche ?

Quelle question saugrenue, vous pourriez vous dire. Le "changement" fonctionne-t-il ? Evidemment ! Pourquoi recruter autant de professionnels du changement si ce n'était pas le cas... D'autant que les résultats peuvent être évidents. L'histoire de la transformation de la qualité que j'ai déjà racontée ici et a entraîné des améliorations époustouflantes de la qualité (en bref, tous les indicateurs positifs ont augmenté, tous les indicateurs négatifs ont baissé), une meilleure mise à disposition des produits, des économies considérables, un engagement accru des personnes et ainsi de suite. Un véritable cas d'étude pour le changement de culture.

De plus, ceux qui ont participé activement aux mouvements de changement ont appris de nouvelles façons de travailler ensemble - comme cela a été le cas dans l'histoire de Qualité ou dans le mouvement pour la diversité quelques années auparavant. Les gens ne peuvent pas "désapprendre" ou du moins pas complètement. Quand ils font l'expérience d'une zone de liberté élargie, d'une autre façon de se connecter à travers hiérarchies / géographies / fonctions, d'interagir avec les autres, de faire preuve de leadership... c'est en effet difficile à oublier. Ils savent maintenant qu'il est possible de faire les choses différemment et, très souvent, ils en ont aussi été changés eux-mêmes.

Vraiment ?

Mais, est-ce que ça marche vraiment ? Mon ami et ancien collègue Mohammed, un véritable agent du changement, me dit: "Si nous ne nous attaquons pas à la racine du système, si nous n'influençons pas vraiment les actionnaires et la manière dont les organisations prennent leurs décisions - mais les décisions sont prises en fonction d'objectifs financiers à court terme en raison du système capitaliste dans lequel nous vivons - si nous ne changeons pas cela, ni le courage ni l'activisme d'entreprise ne feront aucune différence. Ils ne peuvent tout simplement pas".

Mohammed vient de devenir père. Je lui demandai la signification d'Elyassa, le nom qu'il a donné à son fils nouveau-né. "Jadis, répondit-il, il y avait un prophète nommé Elyassa, qui combattait le mal. Il vainquit un roi malfaisant pour en mettre un bon à sa place ; mais quand le prophète mourut, le bon roi devint un despote à son tour. J'ai donné ce nom à mon fils pour lui rappeler que nous devons faire le changement, mais que c'est un travail sans relâche. Ce n'est jamais fini."

Faux changement

Ce que j'ai constaté, c'est que l'ancien système se perpétue de bien des façons, y compris par le recrutement de sang neuf. On pourrait penser que les jeunes générations aideraient à changer les choses... mais elles sont tout aussi sensibles au pouvoir et aux récompenses que les anciennes. L'appétence pour le changement et la prise de risque n'est pas du tout une question d'âge.

Le système est capable d'imiter l'action des agents du changement en n'épousant que sa surface et en laissant de côté sa substance. Les agents de conformité - la plupart du temps agissant en toute bonne foi - recyclent les mots. Ils utilisent un vocabulaire similaire à celui des agents du changement : " mission ", " mouvement ", " activisme "... et pourtant ce ne sont que de bons soldats. Ils utilisent nos mots, vidés de leur sens. Un jour, on m'a demandé de soutenir par mes conseils une prochaine initiative de l'entreprise. Puis l'initiative a été lancée, tentant de ressembler à un mouvement de volontaires, mais en réalité top-down, contrôlée, visant à changer les comportements des autres, profondément traditionnelle. Un ensemble de "recettes" avait été appliqué, mais pas l'intention. Le changement n'était plus une conviction authentique, mais un ensemble d'outils de manipulation.

"Ils", c'est "nous".

J'ai même remarqué - ce qui est encore plus troublant - que parfois *nous* sommes ceux qui permettent au système de se maintenir ; nous sommes nous-mêmes des obstacles au changement. On ne s'en rend pas toujours compte. Un jeune collègue me faisait un jour part de sa frustration à l'égard de notre société mère, qui empêchait le changement parce qu'elle était " tellement contrôlante ". Je n'en ai pas cru mes oreilles. Lui-même était un exemple extrême de contrôle ! Comment pouvait-il à ce point manquer de jugement sur lui-même ?

À un autre moment, un ami m'a fait réaliser que, parmi le réseau de volontaires que j'avais créé, j'avais en fait dupliqué la hiérarchie que j'essayais de transformer. J'agissais en tant que cheffe... sans le titre formel, mais en agissant de la même façon. Je reproduisais moi-même le système ! Grâce à ce retour d'information, j'ai essayé de changer ; mais combien de fois ne m'a-t-on pas dit et n'ai-je pas changé, parce que je n'ai pas vu ?

De plus en plus, le mot "ils" me dérange. Ou encore, "le système". Je continue à les utiliser, ici et là, par commodité. Mais je sais que c'est un raccourci trompeur. Parfois, nous, "agents de changement", agissons comme "eux", les agents de conformité. Parfois "ils" c'est "nous", et nous faisons toujours partie du système.

Dans ces circonstances, peut-on blâmer les résistants au changement de s'opposer à nos efforts ? Comment mieux identifier les conséquences possibles de nos actions, pour gagner en efficacité et en impact ?

Les limites de l’intention individuelle

Les comportements négatifs, contrôlants et oppressifs ne sont souvent que les symptômes de systèmes malades. Ils ne reflètent pas nécessairement la nature ni l'intention des personnes. Les employés de tous les niveaux fonctionnent comme le système dans lequel ils évoluent le leur demande. De même, les comportements des citoyens sont façonnés par des décisions macroéconomiques, comme le rappelle Umair Haque dans cette lecture vertigineuse sur les effets des mesures d'austérité.

De plus, le système est indépendant des individus qui le composent. Une culture d'entreprise est créée par de multiples conversations au fil du temps qui forment des motifs récurrents de conversations, qui eux-mêmes deviennent indépendants des personnes tenant ces conversations. Au bout d'un certain temps, lorsque la culture est établie, changer les personnes n'a plus qu'un effet négligeable (voire nul) sur la culture d'entreprise. Très souvent, les dirigeants agissent dans l'illusion qu'une nouvelle gouvernance ou qu'un changement de leadership aura un impact sur la culture. Ils remanient les équipes, les comités et les frontières des départements. Mais ça ne change rien.

Le changement héroïque ?

Au fait, est-ce toujours une bonne chose de remettre en question le statu quo ? Une autre question bizarre, me direz-vous. Je viens de passer moi-même plusieurs bonnes années à lutter contre le statu quo et j'y ai trouvé beaucoup de satisfaction et d'enseignements. Ceux qui ont un goût pour la transformation veulent changer la façon dont les choses fonctionnent. Nous trouvons positif et valorisant de nous considérer comme des agents du changement. Il y a un certain attrait mélodramatique à présenter la réalité comme celle du "Nous contre les Dinosaures". Mais je soutiens que nous ne pouvons pas nous permettre de nous penser comme des héros du changement. Ce romantisme est une illusion dans le monde des affaires. Cela nous fait perdre en efficacité.

Succès, ou échec ? En réalité, des conséquences plus complexes

Que se passe-t-il si nos efforts alors échouent ? Lorsque la lutte contre le statu quo ne fonctionne pas, les agents de changement peuvent, par frustration, se retirer et arrêter d'agir en profondeur. Lee Bryant disait récemment : " Je suis déçu de voir que tant d'agents du changement n'ont pas l'ambition de changer le système et se replient plutôt sur le développement personnel ". De précieuses compétences et expériences se détournent du changement systémique et sont perdues pour la cause.

Dans d'autres cas, nos efforts peuvent sembler fructueux... alors qu'ils servent en fait un objectif différent. C'est l'instrumentalisation du changement. Imaginez ceci : vous sortez du lot en tant qu'agent du changement, mais votre organisation vous utilise pour autre chose (p. ex. pour votre réseau, votre charisme, votre leadership). Une fois, je fus désignée comme participante dans un "réseau interne d'agents du changement" dont le seul objectif était de diffuser dans l'entreprise la nouvelle stratégie commerciale d'une certaine division. Ce réseau avait pour but de soutenir un protagoniste dans un jeu de pouvoir, pas de réaliser des changements.

Quand nos efforts semblent réellement fonctionner... alors un autre piège est possible pour les agents de changement. Souvent, le succès est hétérogène au sein de l'organisation (" en peau de léopard ", une expression entendue récemment - des poches de succès ici et là au sein d'une culture largement inchangée). Il est tentant de se concentrer sur les poches en question car c'est là qu'on trouve de l'énergie. Toutefois le résultat peut être la formation d'une bulle qui isole l'agent du changement et les autres acteurs du mouvement du reste de l'organisation. Leur bulle est un endroit merveilleux pour des discussions profondes sur le sens, les valeurs et la transformation, mais elle ne provoque aucun changement systémique.

Parfois, le changement fonctionne, mais trop tard pour protéger l'agent du changement. Compte tenu du sort de certains lanceurs d'alerte notoires, qui voient leur réputation attaquée, leur vie bouleversée et toutes sortes de conséquences économiques difficiles, il faut énormément de courage pour lever la main et affirmer "il y a un problème, il faut changer".

En tant qu'agents du changement engagés dans la transformation de puissants systèmes traditionnels, nous connaissons les risques que cela comporte. Les femmes qui luttent contre le patriarcat savent que c'est une affaire risquée. Les activistes d'entreprise qui tentent de rendre leur organisation plus diversifiée, plus humaine et plus respectueuse de l'environnement savent qu'ils doivent travailler leur résilience. Mais qu'en est-il des autres qu'ils mènent à l'activisme - et du coup à la possibilité de l'échec ? Soulever de faux espoirs est pour moi le plus grand écueil, car il s'agit d'une question éthique. Imaginez que vous suscitez une communauté de personnes qui croient que le changement est possible... Ils s'exposent, ils prennent des risques, et... le système riposte. Vous passez à autre chose – un autre emploi, un autre employeur – mais eux non, attachés pour diverses raisons à leurs postes. Que deviennent-ils ?

C'est pour nous, agents du changement, une responsabilité importante à laquelle il faut penser sérieusement. C'est une chose de vouloir changer le système, c'en est une autre d'embarquer des gens dans la bataille.

Être clair sur les enjeux et les risques, considérer les autres comme des égaux (et non comme des "followers", ou des disciples) et agir en conséquence font je pense partie de la solution.

La dernière partie de ce billet nous amène à ce qui est, je crois, un ensemble de questions plus utiles aux agents de changement dans l'évaluation de leur impact et la conduite de l'actions. Certaines s'inspirent de mon travail sur les systèmes vivants avec Myron Rogers et John Atkinson. Le livre de Peter Block intitulé « Community - The Structure of Belonging » a également été une lecture importante. Il m'a fourni des clés de compréhension qui ont fait évoluer mon interprétation du rôle de l'agent du changement.

Que s'est-il vraiment passé ?

Comment le sait-on ?

Qu'avons-nous appris ?

Les agents de changement créent des « actes de possibilité »

Lorsque vous déclarez qu'une autre voie est possible et que vous agissez en conséquence, vous créez du possible, ou des « actes de possibilité ». Par là, vous combattez ce que Peter Block appelle "la sanction érigée en programme", basée sur la marchandisation de la peur et des reproches.

« Quel est le problème, qui est responsable, comment le résoudre ? ». Cet ensemble de questions courantes repose sur un programme véritablement politique qui repose sur la division et la critique. Il confond souvent le lieu où les problèmes surviennent (p. ex. "l'atelier de fabrication") et la raison pour laquelle ils surviennent ("les opérateurs font du mauvais travail"), il fait des raccourcis trompeurs entre cause et conséquence et exploite notre besoin de certitudes. Ce programme patriarcal promeut l'archétype du leader fort, de l'homme puissant qui prend en charge les problèmes et nous sauve de nos peurs, et il nourrit le business très lucratif de la peur. Il fonctionne aussi bien en politique que dans le monde de l'entreprise.

Au lieu de servir ce programme, Peter Block suggère de travailler à une « communauté réparatrice » et de « créer du pouvoir communautaire » en suscitant des conversations différentes. Ces conversations invitent plus de gens à créer un avenir collectif. Je crois qu'il s'agit là d'un aspect essentiel de l'impact des agents du changement. Avec ceux qui nous rejoignent, nous nous sentons moins à la merci d'un avenir incontrôlable et moins dans le besoin d'identifier des coupables ou des sauveurs. Nous agissons plus comme concepteurs que comme consommateurs - car nous voyons de nouvelles possibilités et tentons de le concrétiser, forts de notre énergie collective.

Les agents de changement créent plus de liberté

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L'impact naît aussi du fait de « confronter les gens à leur liberté » (Peter Block à nouveau). C'est ce que vous faites, agents du changement. Ceux qui répondent Oui à votre invitation, et ceux qui en décident autrement, sont exposés par vous à leur liberté. Dans un milieu professionnel où il est plus courant de répondre aux impératifs ou de se laisser porter par le système, la possibilité de faire des choix vraiment libres est rare et précieuse. Créez-vous de telles opportunités pour vous-même et vos collègues ? S'il n'existe pas d'espace au sein de l'entreprise pour travailler en tant qu'individu libre, pourquoi ne pas en créer un ?

Block écrit plus loin : « Confronter les gens à leur liberté est peut-être le plus important acte d'amour ». Trop souvent encore, sur le lieu de travail, la liberté est considérée comme un privilège individuel et comme un risque collectif. Elle se gagne par le mérite, mais à plus grande échelle elle est associée au chaos et au désordre. Les personnes qui ont peu d'empathie pour les autres, ou qui s'aiment de façon disproportionnée, ne se soucient pas de créer plus de liberté collective. Les agents du changement, si.

La tête, le cœur et l'âme

Une dernière chose à propos de l'amour : dans le passé, j'aurais trouvé un peu bizarre d'utiliser ce mot dans le contexte du travail, mais plus maintenant. A la différence des relations professionnelles habituelles, le fait de me battre pour le changement aux côtés de certains collègues m'a permis de nouer des liens profonds et personnels avec eux. Les mots ne suffisent pas pour décrire l'intensité de notre expérience commune. Au moment même où je rédigeais ces lignes, Mrunal, ancienne collègue et co-activiste pour le changement, commentait la première partie de ce billet en écrivant :

« La hiérarchie et le réseau sont deux termes qui évoluent et grandissent l'un avec l'autre et nous, en tant qu'agents du changement, jouons un rôle essentiel. Merci pour le temps formidable passé ensemble à travailler pour changer les choses, une personne à la fois !!!! Pour moi, c'est un apprentissage indéfectible qui ne pourra jamais s'effacer. Je ne cesserai jamais d'être un agent du changement, où que je sois. L'esprit [du changement] est un mode de vie. Merci à toi et à aux [...] innombrables et merveilleux agents du changement et collègues bien-aimés qui sont devenus bien plus que cela !! »

Notre parcours de changement nous a fait évoluer vers une plus grande prise de conscience. Alors, oui, nous avons effectivement changé des choses au niveau des opérations industrielles... et des processus de qualité... et des politiques de diversité... mais ce parcours nous a aussi beaucoup changé nous-mêmes. Il nous a fait réfléchir et devenir profondément conscients de ce que nous faisions - et même de qui nous étions. Nous avons vu les autres comme des compagnons, comme des êtres humains imparfaits comme nous, comme des personnes entières plutôt que comme des rôles ou des titres. J'ai retrouvé des échos de cette expérience dans la Théorie U d'Otto Scharmer.

Au lieu de « ça fonctionne, ou pas », une évaluation à mon avis plus pertinente de l'impact des agents du changement tourne autour de la question : « Par notre travail de changement, qu'est-ce qui nous a rendus plus humains ? »

 

Comment rendre le système vivant ?

Comment les organisations meurent

Les organisations meurent parce qu'elles retirent l'humanité de ce qu'elles font, de leur façon de travailler, parce qu'elles nous traitent comme des rouages interchangeables dans une machine. Parmi de nombreux exemples, voyez cette histoire phénoménale partagée par Hilton Barbour sur le constructeur automobile GM : « Le déclin de GM a véritablement commencé avec sa volonté de transformer les gens en machines ». Tout ce qui prétend "améliorer l'efficacité" par le biais des recettes mécanistes habituelles ("processus rationalisés + licenciements + campagne de communication") devrait être suspect. Dans le meilleur des cas, son impact n'est qu'un épiphénomène coûteux que l'organisation parvient à digérer ; dans le pire des cas, il tue - littéralement. 

J'ai eu un jour une discussion avec un collègue, responsable d'une nouvelle initiative « Process Excellence ». Inventée par l'un des meilleurs consultants mondiaux, cette méthode revisite chaque opération, minute après minute, et remanie l'ensemble afin de le rendre la plus « lean » possible. Se vantant avec fierté, il m'a dit qu'il « remettait les gens au travail » et qu'il était heureux que « le personnel n'ait plus une seule minute pour discuter ensemble ». Aucun des indicateurs de rendement de l'initiative n'incluait la qualité des réalisations, ni l'engagement des gens, ni leur santé. Quelques mois plus tard, plusieurs cas d'épuisement professionnel étaient déjà recensés et des batailles juridiques avaient commencé. Pourtant, cette approche technocratique et anti-humaine de « transformation » n'a pas cessé d'être déployée sur d'autres sites.

Il y a cependant d'autres façons de respecter les gens - voir cet entretien d'il y a quelque temps avec Bill Murray, ancien collègue et innovateur du leadership en atelier de production. J'avais été impressionnée par son équipe et j'ai décidé de passer un bon moment à promouvoir cette approche en interne, afin qu'elle touche plus de managers. Pousser les idées et les pratiques des autres, et pas seulement les siennes, peut être un excellent moyen d'obtenir plus d'impact.

Donner vie aux organisations

J'ai écrit brièvement dans un article précédent (« Le changement humain ») sur les organisations en tant que systèmes vivants, auxquels Myron Rogers m'a initiée. On ne peut pas « construire » un système vivant, on ne peut que le « perturber ». Sa réaction à la stimulation externe se fait en fonction de ce qu'il sait déjà, c'est à dire que ce qu'il est. Un système vivant ne changera que pour rester le même : faites entrer l'activisme d'entreprise, l'organisation le transforme en communication push ; introduisez les communautés de pratique, le système les transforme en un silo supplémentaire. Les agents de changement doivent donc exercer leur travail de changement au niveau profond de l'identité, de la relation et de l'information. Ce n'est qu'à cette condition que le système peut évoluer, prendre en compte des stimulations différentes et réagir d'une autre manière que ce qu'il a fait jusqu'à présent.

C'est précisément ce que mes camarades de changement et moi avons fait avec le mouvement de transformation de la Qualité (soutenu en cela par la formidable équipe Kotter).  Par la création d'une communauté de personnes ayant le souci de l'autre, plutôt que par la simple résolution du « problème de qualité », nous avons permis au système de se voir différemment - une étape vers une nouvelle identité. Nous avons mis à profit la dynamique des systèmes vivants plutôt que de nous y opposer, comme le font les approches mécanistes.  « Je me sens plus vivant », écrivit un jour l'un des volontaires, à propos de notre mouvement. Nous avons fait en sorte que le système se sente plus vivant, créant plus d'énergie pour la transformation.

Il y a quelques années, un professeur de leadership a parlé de mon travail dans un cas intitulé « Injecter du changement » - une référence subtile à l'industrie des vaccins dans laquelle je travaillais alors. À l'époque, j'avais le sentiment que le titre était un excellent résumé de mon impact : le changement, bien sûr ! Aujourd'hui, un meilleur titre pourrait être « Injecter de la vie ».

 

C'est la démarche qui crée l'impact

A l'issue de mon intervention aux Berlin Change Days, les retours ont été chaleureux. Mais quelques participants (peut-être attachés à l'idée d'agents du changement héroïques, de rebelles d'entreprise assommant la culture d'entreprise archaïque par K.O.) disaient que j'avais tenu un sombre récit. Avais-je minimisé l'impact des agents du changement ? Ai-je été défaitiste et pessimiste ? Au contraire, je crois que les idées partagées ici ne peuvent que nous aider, nous et notre cause.

Le changement ne se produit pas toujours où et quand nous le voulons. Le changement n'est pas toujours aussi flagrant qu'on l'espère. Les alliés nous laissent parfois tomber. Remettre en question le statu quo peut être épuisant et oui, il y a des forces plus vastes contre lesquelles il est difficile de faire quoi que ce soit. Mais agir pour la transformation, avec d'autres agents du changement, porte en soi ses propres fruits. C'est le processus de conduite du changement lui-même qui crée plus de possibilités, plus de liberté, plus de connexions humaines, une conscience accrue et plus de vie. Voilà l'impact réel des agents de changement sur la culture. Quelle importance cela a-t-il ? C'est vital. Qui d'autre le fait ? Personne.

Alors continuons à œuvrer pour le changement.

 

Merci d'avoir pris le temps de lire ce long billet. J'adorerais connaître vos réactions ! Quel impact avez-vous sur la culture de votre organisation ? Comment le savez-vous ?

Pour aller plus loin…

Voir une vidéo dans laquelle je parle des aléas d’un parcours de changement (en anglais) BIF 2016 talk

Pour plus de vidéos cliquer ici  

Sur un sujet connexe, deux billets de blogue que vous pourriez aimer (re)lire :

Comment mesurer le changement culturel sans le tuer - Maintenir l'essence du changement malgré la nécessité de le mesurer (en anglais)

Le changement humain - Bilan d'étape dans une aventure de changement exceptionnelle – mes 10 enseignements clé dans les démarches de changement