Reflets numériques

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Nos photos reflètent-elles notre vie ?

🎧 Suggestions de musique pour accompagner cet article : Overflow (Emmit Fenn), Test the Waters (Autograf), Touch (Big Wild)

🍷 Accompagnement liquide – avant « wine o’clock » : votre boisson chaude favorite (thé vert en grande quantité pour moi). Quand c’est l’heure, un bon verre de vin, comme cet excellent Condrieu de la Cave de Saint Désirat (hello les amis !).

Une partie de mon année 2020

Une partie de mon année 2020

74 % des photos prises sur les téléphones portables ne sont plus jamais regardées, selon une étude réalisée en 2019. Pourtant, nous continuons à prendre une quantité astronomique de photos : 1,4 billiion (ou 185 par personne) était la projection pour 2020 seulement. J'avoue que je contribue largement à cette inutile surcharge numérique : bien que je supprime (rarement) certaines de mes photos, mon téléphone contient encore 936 preuves visuelles de 2020 – et l'année n'est même pas encore terminée au moment où j'écris. Imaginez s’il avait été possible de voyager 😬

Que disent ces photos de cette année plus qu’étrange ? Ont-elles reflété le bouleversement, la tristesse et la déconnexion apportés par le virus ? J'étais curieuse de savoir, alors pour une fois, j'ai regardé à nouveau toutes mes photos de l’année. Elles évoquent beaucoup la famille (anniversaires, bons moments passés ensemble) et de la rénovation de notre appartement (providentiellement achevée, après beaucoup de travail et de stress, juste avant le premier confinement). Au moins, nous avons été confinés tous les quatre dans un bel espace. Mon bureau fermé a été, encore plus que prévu, une vraie bénédiction.

En janvier, je voyageais encore et j'assistais à des conférences (pas besoin alors de préciser "en personne"). Au vu des photos de DLD Munich 2020, je ressens la nostalgie des foules, du bruit, du « live tweet » (tweeter en permanence pendant la conférence, au bénéfice de ceux qui ne peuvent y participer), des dîners d'après-conférence avec des inconnus. Certes, on peut assister à des événements à distance, absorber des connaissances derrière un écran, éviter l'expérience de l'aéroport, économiser des frais de voyage... mais ce n'est pas la même chose. Toutes mes pensées envers mes amis dans l'événementiel. En février, je fêtais la médaille de l'Ordre national du mérite (bien méritée) de ma plus jeune sœur ; et son dixième anniversaire avec ma fille, avec une visite de Paris et une belle comédie musicale. Début mars, je revenais de Birmingham, au Royaume-Uni, sans savoir que ce serait mon dernier vol avant... qui sait – sans doute très longtemps. Nous avons également organisé le dernier dîner à la maison pour un grand groupe d'amis. Puis tout a fermé et la ville est devenue étrangement silencieuse.

Ma prise de photos a continué.

Elles ont enregistré le sport dans l'escalier de l’immeuble (descendre 72 marches, puis les remonter, 7 fois). Le premier Zoom apéro avec des amis. Une sortie sur la place voisine pour profiter de quelques minutes de soleil. Une séance de bronzage dans l'appartement, fenêtre grande ouverte (au grand désespoir de mon adolescent : "Maman, arrête s'il te plaît !"). Le soin intense accordé aux trois plantes aromatiques dans la jardinière à la fenêtre de la cuisine. Le basilic a été phénoménal cette année. L’invention de nouveaux rituels de famille, comme la soirée cinéma du samedi. De magnifiques couchers de soleil. Les bouquets de fleurs que nous avons dégotés en quasi-contrebande (merci le réseau du conjoint dans les plantes) lorsque les magasins "non essentiels" – en gros, tout sauf l’alimentaire – étaient fermés. Soudain, les fleurs ont paru essentielles. Des expérimentations de pâtisserie avec les enfants, mais je suis toujours aussi nulle en desserts. Mes parents fêtant leur 52e anniversaire de mariage, amoureux comme au premier jour. Une randonnée dans les Alpes. Une réunion au quartier général de l'armée de terre. Deux jours de bonheur à la maison d'hôtes Les Esplanes, en Drôme Provençale. Une baignade dans l'océan Atlantique sur la côte sud-ouest de la France. Le paysage d'une beauté époustouflante des châteaux cathares. Des couchers de soleil, encore et encore. La famille, les gâteaux d'anniversaire, les cadeaux, les câlins, les sourires. Le premier feu de l'année dans la cheminée. Une exposition de street art très émouvante. La décoration du sapin de Noël. Le souvenir de mon amie bien-aimée Kitty, qui a choisi de quitter ce monde – j'ai exhumé de vieux albums papier pour garder une trace numérique de son beau sourire. Des bougies à la fenêtre le jour de la fête des lumières. Un déguisement de guirlandes pour la dernière réunion Zoom de l'année. La préparation d’un foie gras.

Nos photos capturent les hauts plutôt que les bas de nos vies.

Street art par Hugo Millet

Street art par Hugo Millet

On se souviendra de 2020 comme l'année de Covid, fatale et destructrice de l'existence de beaucoup. Et pourtant, la vie a continué. Des moments uniques à cette année mais sans rapport avec Covid ont été photographiés : le visage de ma fille illuminé de joie en montant la Tour Eiffel ; le passage de la cinquantaine 🙄 avec le plus gros bouquet de roses rouges jamais reçu 🌹 ; la séance d'aviron sur la Saône avec mes deux enfants ❤️❤️❤️ ; la découverte du charmant petit village du Tarn où ma grand-mère est née (dans la maison aux volets rouges). Pour être tout à fait juste, cette découverte est en réalité liée au Covid : sans la pandémie, nous aurions passé nos vacances à l'étranger et non en France. J'ai hâte de voyager à nouveau, mais c'était vraiment chouette.

Malgré tout, ces photos passent à côté d’éléments critiques de cette année. Sans trace visuelle, mais tout à fait mémorables : la douleur de mes amis qui ont perdu leur emploi, leurs contrats ; mon propre stress face à l'instabilité économique et à la menace de la maladie ; les conversations réconfortantes avec Eugenio, Gunda, Jillian, Aude, Fabienne, Fatiha... aux premiers jours de la catastrophe et après ; l'angoisse de voir le monde se perdre dans un tourbillon de divisions, de colère et de blâme ; les coucous échangés avec mes voisins par la fenêtre à travers la cour ; la perplexité de voir des amis plonger dans les théories du complot ; le plaisir et l'excitation de servir de nouveaux clients (merci ! 🤗😘) ; l’émotion que procurent la musique et le théâtre – vivement le retour du spectacle vivant. Egalement invisible, ce qui m'a pris la plupart de mes soirées cette année, et une grande partie de mes journées aussi : l’écriture. Déjà 8 chapitres achevés (sur 12), et une expérience de recherche et de réflexion tout à fait extraordinaires. J’ignore si d'autres que moi s’y intéresseront, mais je suis fière de moi. Après avoir porté ce livre comme un fantasme pendant de nombreuses années, incertaine d'avoir quoi que ce soit d'utile à dire, je l’ai finalement pris à bras le corps. Un grand merci à mon coach d'écriture, Richard Martin, pour sa patience et ses compétences dans l’amélioration de mon style – l’anglais n’est pas ma langue maternelle et sans lui, ça se verrait 🙂

Que disent vos photos de 2020 à propos de cette année ?

Je vous souhaite à tous, ainsi qu'à vos proches, beaucoup de bonheur, de santé et de création en 2021.